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Leadership, Dominance, des abus de concepts ?

Une immense partie des enseignements en équitation, se fonde sur des concepts historiques de dominance et de leadership, étants décrits comme la base de toute relation homme cheval. 

Même si on en comprend l’idée et le sens, nous sommes nombreux à être parfois mal à l’aise avec ces concepts. Le sentiment que tout n’est pas toujours juste, parfois prétexte à des attitudes inappropriées. Beaucoup de livres, de vidéos, de professionnels, propriétaires…, expliquent et solutionnent les problèmes de comportements par des concepts de soumission/domination et leadership, conseils que nous nous efforçons de suivre pour « bien faire ». Un livre en particulier m’a fortement questionnée et poussée à ces recherches et à la création de cet article. Celui du Dr Miller célèbre vétérinaire comportementaliste équin et grand ami de Pat Parelli « La nature du cheval Ethologie équine appliquée ». Dont voici quelques lignes :

 « Le mot « dominant » rebute beaucoup de monde. C’est cependant un terme correct au plan scientifique (…) Dominance signifie Leadership. Pour diriger un cheval, il est absolument essentiel de le dominer. Beaucoup de gens, parmi lesquels des entraineurs que je respecte, vont réfuter cette affirmation, mais ils ont tort. » ou encore « Habituer les jeunes chevaux à accepter l’entrave, entre dans une part importante dans leur éducation. Il faudrait immobiliser chacun des 4 membres séparément puis entraver les jambes deux par deux. Cela contribue à instaurer une attitude de respect envers l’entraîneur et habitue l’animal à donner ses membres volontiers. » et ce n’est pas fini ! « Pour maîtriser la fuite. D. Magner employait un lien reliant la tête à la queue. Le cheval qui tentait en vain de s’échapper était contraint de tourner en rond jusqu’à ce qu’il se soumette docilement » mais aussi « La hiérarchie du groupe s’orchestre autour du leader. Au sommet de l’échelle, l’alpha impose sa dominance à ses congénères » c’est sûr ça ?« L’étalon est propriétaire du troupeau, mais le groupe est conduit par une poulinière dominante » ah oui ? « Dans chacun des cas, le cheval finit par se soumettre, il cherche de l’aide et un leader qui lui montre comment s’en sortir »

Je m’interroge donc : les chevaux ont-ils à ce point besoin d’être dominés pour être coopératifs et apprendre ? Besoin d’être soumis à l’Homme pour devenir calmes, sereins, obéissants ? Besoin absolument d’être pris en charge, guidés, contrôlés pour évoluer avec l’Homme ? Ces concepts sont-ils nécessaires à leur bien être et à l’établissement d’une relation ? 

C’est VOTRE relation avec VOTRE cheval qui est en jeu. Préparez vous à bousculer les croyances. 

HIERARCHIE ET DOMINATION CHEZ LE CHEVAL 

C’est en observant des groupes de poules que le biologiste norvégien Thorleif.Schjelderup-Ebbe en 1922, constate que chaque individu est capable de se comporter en fonction de son rang dans le groupe. Et donne la notion de « hiérarchie de groupe ». Depuis lors, cette idée pré établie a prévalu et fait consensus parmi les scientifiques et non scientifiques, qui ont eu tendance à approprier ce type de structure à toutes les espèces sociales.

Il n’y a pas de raison de croire que les chevaux cartographient mentalement leur position au sein d’un groupe ou qu’ils se classent les uns par rapport aux autres. Mentalement, le rang est susceptible d’être formée au niveau bilatéral, et non sur la base d’un concept de hiérarchie globale. Les altercations sont majoritairement entre deux chevaux, l’un réussi à déplacer l’autre et à accéder à la ressource. A chaque nouvelle rencontre, chaque cheval découvre sa capacité à accéder aux ressources par rapport à un autre. Altmann (1981) cite : « les relations de domination sont une invention, pas une découverte. Elles existent dans l’esprit et le cahier de l’observateur humain ».

La vie en groupe social améliore la survie de l’espèce. L’établissement de priorités d’accès aux ressources est nécessaire afin d’éviter les conflits et la dépense inutile d’énergie vitale. Les comportements de compétitions s’observent donc presque exclusivement autour de ressources restreintes (eau, nourriture, espaces repos ou roulade, juments, poulains, défense de l’espace personnel…) L’étalon dominant de son troupeau est une croyance, car il lui arrive souvent de ne pas être prioritaire par rapport à certaines de ses juments. 

De nombreuses études ont tenté de déterminer une hiérarchie de groupe, mais n’ont pas été en mesure de discerner un ordre de classement clair des membres. Il n’y a pas de règle, il y a des hiérarchies linéaires : A domine B qui domine C, des hiérarchies triangulaires A domine B qui domine C et C domine A. Et les affinités complexifient encore plus cela, car elles offrent des priorités à certains chevaux de rang bas aux côtés d’un dominant qui les apprécient. 

Les chevaux peuvent se disputer les ressources, mais ne montrent aucune motivation à vouloir simplement dominer les autres ou assoir leur supériorité. La vie en paix et en toute sérénité par des évitements et le développement d’affinités est ce que l’on observe le plus souvent dans des groupes stables.

LE LEADERSHIP CHEZ LE CHEVAL 

Le leadership décrit ici le processus d’influence sociale dans lequel des leaders spécifiques semblent guider les actions des membres du groupe, telles que des changements d’activité ou de localisation.

Il a été en grande partie déterminé dans les années 50 à 70 lors des études sur les comportements des meutes de loup, aujourd’hui remises également en question. Historiquement, les chercheurs et la croyance populaire ont donc vu dans les groupes de chevaux une hiérarchie à base de membre Alpha (étalon ou jument dominante), faute de connaissance, d’observations suffisantes et d’étude sur leur hiérarchie propre. Les horsemans se sont également emparés de ce terme, pour justifier leurs pratiques auprès des chevaux selon le concept de l’étalon ou de la jument alpha qui devient référence respectée. 

Cependant les nombreuses études scientifiques en éthologie équine de ces dernières années, montrent que ce n’est absolument pas la structure sociale chez le cheval et que les observations ont été biaisées par le fait que nous possédions un cadre mental d’interprétation déjà disponible (le couple de loup alpha) entrainant des erreurs d’interprétations dans les données recueillies.

Voici ce que l’on a pu observer :

  • Bien que les membres d’un groupe puissent avoir un « leadership distribué » (ex : l’étalon sera plutôt leader lors des rencontres entre groupe ou défense face aux prédateurs, les plus âgés auront un rôle d’apaisement des conflits au sein du groupe…), il est apparu que n’importe quel cheval à un moment ou un autre de la journée peut guider le groupe et initier une mise en mouvement pour un changement de lieu ou d’activité.
  • Des attitudes et comportements de prise de décision collective reposant sur un consensus commun et partagé entre les membres du groupe a été observé et doit encore être étudié et approfondi. Plusieurs membres du groupe réalisent d’ailleurs un départ simultané qui représente 19 à 33 % des déplacements.
  • Un individu qui initie le premier un déplacement du groupe, n’est pas forcément celui qui marche ensuite en tête et guide lors du voyage.
  • Le leadership n’est pas intentionnel mais apparaît de manière fortuite pour répondre à un besoin, en appliquant donc le terme de leader à un membre du groupe on signifie par là qu’il guide et influence intentionnellement ce qui n’est pas le cas. Le concept de leadership c’est donc avéré peu fiable chez le cheval.

Les chevaux n’ont donc pas besoin d’un Leader pour maintenir leur cohésion de groupe et chaque cheval peut à son tour jouer un rôle.

LEADERSHIP ET DOMINANCE DANS LA RELATION HOMME CHEVAL

Le cheval est un animal grand, fort, mais sensible et avec d’extraordinaires capacités de réactions de fuite. Travailler à ses côtés n’est donc pas de toute sécurité. A juste titre, nous recherchons des solutions pour assurer notre sécurité et le raisonnement est donc souvent le suivant : Je dois être respecté pour ne pas me mettre en danger, dans le troupeau, le cheval dominant Alpha est respecté, je dois donc me comporter auprès de mon cheval comme tel. 

Avec ce que nous venons de voir précédemment, on peut y apporter plusieurs nuances et remises en question :

  • La dominance s’observe autour des ressources restreintes convoités. Sommes-nous en compétition avec notre cheval, convoitons-nous son seau de grains, son herbe, son eau, son coin à l’ombre… ? NON. En dehors de cela le cheval ne montre aucune motivation à imposer sa domination. 
  • Attention aux nuances, un humain aux attitudes dominantes n’est pas respecté mais craint, lorsque l’on chasse un cheval avec énergie hors de l’espace personnel, nous ne lui apprenons pas à respecter ce dernier, nous l’effrayons, seulement. Le vrai respect s’instaure dans une relation de partenaires privilégiés, ou l’un et l’autre apprennent à s’accepter et partager le même espace personnel et à connaitre chacun leurs propres limites par des mises en gardes graduelles… Ne faisons pas fausse route sur l’attitude à adopter entre un dominant craint ou partenaire considéré et respecté.
  • On attend d’un cheval qu’il réponde à nos demandes par des réactions de son répertoire comportemental. A l’inverse cette notion de devoir imiter un autre cheval pour occuper une place de dominant ou de leader, persiste. Pourtant, le poulain apprend tout jeune à reconnaitre les membres de son espèce. Un cheval sait donc parfaitement que l’Homme est une espèce à part entière, avec laquelle il va devoir développer une lecture différente pour un langage commun. Les rôles sociaux des chevaux ne doivent donc pas être transposées aux interactions homme cheval, car les chevaux ont pleinement conscience que les humains ne font pas partie de leur système social et ne le considèrent pas comme un des leurs.
  • Continuer à penser qu’une relation Homme Cheval est basée sur un principe dominé – dominant pour imiter les chevaux entre eux peut être préjudiciable et néfaste. Pouvoir et leadership sont trop souvent combinés. Dans ce contexte, un comportement d’agression, de morsure ou de coup est très vite qualifié de tentative de domination par un cheval qui agirait délibérément pour obtenir l’ascendant. Avec cette construction mentale, le recours à des méthodes comme la contrainte, le flooding ou immersion, la punition, peuvent devenir des actes que l’on justifie, par la nécessité de corriger le cheval et reprendre le leadership. Cette approche qui se veut trop facile et simpliste nie la complexité des interactions cheval-cheval et leur spécificités contextuelles. Le recours aux méthodes prés-citées possède bon nombre d’effets secondaires, préjudiciable à l’harmonie d’une relation Homme cheval et néfaste pour le bien être. Comme le développement de la peur et de l’évitement, l’extinction de la créativité et du plaisir, la dépression, la souffrance mentale au travail…
  • Pour bénéficier d’une relation Homme cheval simple et respectueuse : Avant de vouloir absolument contrôler un cheval, et prévenir tout comportement dangereux, il faut prendre conscience que les apprentissages avec l’Homme doivent venir en second temps. Il est primordial que chaque cheval puisse vivre et grandir en groupe et apprendre les codes sociaux de son espèce, pour en faire un cheval adulte équilibré et prêt à démarrer une vie auprès de l’Homme. L’interaction humaine avec les chevaux doit reposer sur une compréhension du comportement naturel du cheval et de ses capacités sensorielles. La formation d’un cheval doit être menée de manière calme, claire, constante et cohérente, conformément aux principes de formation en sciences de l’équitation, en utilisant les théories de l’apprentissage et l’éthologie de manière appropriée. Ce sont de solides bases à l’entraînement des chevaux, et contribuent à des interactions plus sûres entre cavalier et cheval. Chacun doit pouvoir se former et s’informer, et pour cela, l’ISES (International Society for Equitation Science) a travaillé sur 10 principes de l’apprentissage et théories de l’équitation qui représentent une base solide, accessibles ici en anglais : https://equitationscience.com/equitation/principles-of-learning-theory-in-equitation

EN CONCLUSION 

Le cheval a survécu et enduré pendant des centaines d’années, des hiérarchies de domination et des positions de leadership alpha créées par l’homme, qui croyait les observer sur ces derniers à l’état naturel. Les études montrent qu’il s’agit de l’approche la moins efficace pour gérer le cheval et le garder dans de bonnes dispositions mentales.

Fini le : « Il se comporte comme ceci ou comme cela parce qu’il cherche à dominer et à prendre le dessus ». Cette explication trop facile et bien trop lue ou entendue, est erronée. Des attitudes comme un cheval qui chasse avec les oreilles en arrière, cherche à bousculer, mordre, taper…s’expliquent en grande partie par ces trois possibilités :

 1) C’est une réaction de peur et/ou de défense. La pression est trop forte, injuste, l’environnement est effrayant… et votre cheval le manifeste, il faut l’écouter et trouver une solution.

 2) C’est un apprentissage à notre insu, le cheval a compris qu’en adoptant telle ou telle attitude, il gagne, et cela lui apporte du confort, il est récompensé dans son « mauvais comportement » qu’il pense donc être le bon et il continue, en use et en abuse.

 3) Votre cheval va chercher dans son répertoire comportemental une solution, qui ne sera pas toujours la bonne, pour répondre à une demande de votre part. Par exemple vous êtes en train de lui apprendre à donner les pieds, il tape fort sur le côté pour se dégager. Il ne faut donc surtout pas punir, mais ignorer et reprendre ou revoir la méthode, comme si de rien n’était, en attendant l’arrivée d’un début de bonne réponse. Le cheval ne peut pas savoir ce qui est mal, il essaye, c’est tout. A nous de ne pas le punir, amenant à des réactions de crainte et de défense, ou arrêter de le solliciter et en venir à un mauvais comportement appris à notre insu.

Les positions alpha ou le leadership dans les groupes sociaux de chevaux sont des concepts artificiels qui ne doivent pas constituer la base des interactions homme-cheval.

Un bon professeur ne domine pas ses élèves, il les fait progresser avec bienveillance et assurance, dans un cadre respectueux, rassurant et encourageant. Il permet les erreurs et félicite le moindre progrès. Dans l’espoir qu’un jour, les élèves égalent le maitre et qu’ils puissent parler ensemble et sans contraintes le même langage. Les élèves sont valorisés, motivés et créatifs. Ils prennent plaisir à apprendre et à comprendre. (Certains qualifient aussi cette attitude de Leadership, alors, ne jouons pas sur les mots, tant que la recherche du bien-être animal et d’une bonne relation est le but premier)

Tout peut toujours évoluer, s’améliorer, progresser ! Formez-vous, ouvrez votre esprit à tout, entraînez-vous à observer en étant conscient des modèles mentaux et des stéréotypes qu’on a dans la tête, écoutez-vous et gardez l’esprit critique. Si quelque chose ne vous convient pas, et bien ne le faites pas.

Laura, Etho’Lau

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