A l’état naturel, le sevrage se produit généralement juste avant l’arrivée du prochain poulain c’est-à-dire un peu avant 1 an et est uniquement alimentaire. Si la jument n’attend pas de prochain poulain, le jeune peut continuer à téter plusieurs mois/années. La plupart des poulains domestiques sont de nos jours sevrés entre 5 et 7 mois. Parfois même 4 mois aux Etats Unis qui réalisent des sevrages plus précoces.
Le sevrage à l’état domestique est reconnu comme une cause de stress intense pour le poulain car il n’est pas seulement alimentaire mais également source de séparation sociale et spatiale, le lien mère-jeune encore nécessaire et très présent. Dans un premier temps par la rupture immédiate avec sa mère, et par la suite dans ses conditions de vie qui changent et deviennent perturbantes : Isolement individuel, changement d’alimentation, augmentation des contacts avec l’Homme et aussi des soins…
C’est à cette période que l’on observe une recrudescence de l’apparition de stéréotypies (Tics) et comportements anormaux. Dans une étude de 2002 impliquant 225 poulains sevrés (Water et al.2002), 10 % ont développés un tic à l’appui à 5 mois, 30 % se sont mis à manger du bois : lignophagie (boxes, portes, barrières) à 7 mois.
Ces comportements anormaux n’ont jamais été observés sur les populations vivantes à l’état naturel.
Les expériences de sevrage précoces perturbent également les capacités d’apprentissage, l’aptitude à l’entrainement, et l’émotivité dans la vie du cheval (Mat et al. 1994, 1996). Il ne faut pas prendre cette période à la légère
LES METHODES DE SEVRAGE
- Le sevrage brutal
Il consiste en une rupture totale et immédiate de la mère et de son poulain. Ils sont généralement séparés définitivement, sans pouvoir se voir ni s’entendre. Très stressant, très perturbant pour le poulain qui manifeste un stress accru, hennissements, forte activité locomotrice, défécations et de nombreuses stéréotypies peuvent apparaître à cette occasion.
- Le sevrage brutal avec retrait progressif des mères
Pour les chevaux en groupe. Il s’agit de retirer une mère par jour, jusqu’à ce que les poulains se retrouvent seuls. Le stress est amoindri. Dans ce cadre les poulains réalisent moins de hennissements, de défécations et ont moins de perte d’état physique. Les jeunes vivants en groupe et sevrés de cette façon par le retrait progressif des mères y réagissent mieux (Holland et al. 1996).
- Le sevrage progressif avec contact
Les poulains sont régulièrement séparés quelques minutes à plusieurs heures de leur mère tout en gardant un contact visuel, olfactif et tactile à travers une barrière. Les jeunes restent en groupe d’un côté, les mères de l’autre. Un nourrissage peut être effectué à cette occasion pour créer une association positive.
Le jour du sevrage réel et total, les poulains sevrés progressivement de cette manière ont vocalisé 2 fois moins, ont eu une activité locomotrice amoindrie, se sont montrés moins peureux et moins grégaires. (Lansade 2016, 2017, 2018…)
- Le sevrage progressif sans contact
Il consiste à séparer complètement (Visuellement, olfactivement, auditivement) la mère et le jeune sur des périodes courtes et répétées afin de créer une habitude. En amenant la mère à quelques kilomètres sur une courte période. Avant de passer à une séparation complète et définitive. Les études (Mc call 1987) sur ce sevrage progressif tendent à démontrer que ce dernier créant une angoisse régulière et répétée, les jeunes développent des comportements très grégaires et supportent très mal la séparation dans leur vie d’adulte.
Les poulains vivent un stress à chaque séparation mais prennent l’habitude de voir revenir la mère au bout d’un certain temps. Lors de la séparation définitive, ils s’attendent à voir revenir la mère et les effets du stress de la séparation durent beaucoup plus longtemps. Le poulain reste en détresse plusieurs jours après son sevrage.
- Le sevrage naturel
Consiste à laisser la mère et le poulain gérer seuls le moment de l’arrêt des tétées. Aucune séparation n’est créée et donc aucun stress. Le budget temps du poulain reste identique, la relation mère-jeune également, il n’y a que le sevrage alimentaire. (Henry et al 2018). Difficile à mettre en place dans un environnement domestique pour plusieurs raisons. Sans parler des raisons économiques, de santé, d’état de la poulinière et de gestion des ventes liées à l’élevage. Les chevaux domestiques vivent rarement dans une structure familiale comme on peut l’observer à l’état naturel, les juments ne sont pas toujours pleines d’une année sur l’autre, les jeunes ne peuvent pas quitter leur groupe pour aller vivre avec un autre groupe. Les jeunes poulains mâles risquent de saillir leur mère, certaines mères ne stopperont jamais les tétées. Cependant, s’il est réalisable et envisageable, autant le privilégier, il est possible ensuite d’isoler plus tard les jeunes mâles qui présente des comportements de maturité sexuelle précoce ou de les castrer, et bifurquer sur une autre méthode au besoin.
BIEN PREPARER LE SEVRAGE
La nourriture a son importance
Les poulains sevrés nourris avec des minéraux, matières grasses et des fibres en quantités, sont moins stressés après le sevrage que ceux nourris à base de compléments sucrés comportant de l’amidon. Ils sont également plus faciles à manipuler et plus disposés à la création d’une relation Homme cheval. (Nicol et al.2005). Au même titre, (Hoffman et al 1995) les poulains ayant reçu des compléments minéraux vitaminés avant le sevrage, riches en phosphore, zinc, cuivre et fer présentent moins de signes de stress au sevrage que ceux exclusivement nourris d’herbe et de fourrages sec.
L’ajout de graine de chia riches en oméga 3 dans la ration des poulains avant sevrage et après sevrage a montré une meilleure activité et un stress réduit chez les poulains de course ( Etude expérimentale 2017 https://oatao.univ-toulouse.fr/25296/)
La transition alimentaire avant le sevrage a également son importance afin que le système digestif du poulain s’habitue au changement. Les plages de nourrissages si elles sont « artificielles » doivent absolument être étendues le plus possible et privilégier du fourrage à base de fibre, plus longue à assimiler que des compléments, afin d’éviter l’apparition de troubles comportementaux sur les périodes ou le poulain n’a rien à manger.
Sevrer en groupe
Sevrer en laissant les poulains par paire ou en groupe amoindrit les effets du stress. (Hoffman et al 1995) Les poulains vocalisent moins. Cependant, et en particulier sur des groupes constitués de poulains du même âge et de même sexe (Bourjade et al .2008) on observe une recrudescence des comportements agressifs entre poulains, peu d’apparition de duo ou d’affinités, peu ou pas de repos couché. Il faut donc s’assurer que les poulains sevrés ensemble ont à minima des relations d’affinités.
Sevrer avec des adultes
Le sevrage en restant avec des adultes familiers qui peuvent être des juments non suitées de l’année, amoindrit le stress (Erber, 2012), que les adultes soient familiers ou non, cela semble donner un cadre social, réduit les comportements agressifs entre poulain, augmente les interactions sociales positives comme les toilettages mutuels, le développement d’affinités. La présence d’un adulte familier aide à la diminution du stress (Henry et al.2006). La simple présence d’adultes permet la mise en place au sein des poulains d’une organisation sociale plus pacifique et positive.
Sevrer au pré ou au paddock
67 % des jeunes chevaux mis en box individuel pour la première fois lors de leur sevrage développent des stéréotypies (Visser et al 2008) Les poulains sevrés en box individuel manifestent des comportements stéréotypés sans but apparents comme des léchages intempestifs, des coups dans les murs, des ruades ou cabrés…Il est prouvé que les poulains sevrés au pré ou au paddock en groupe et auxquels on offre un budget temps proche du cheval à l’état naturel, bougent plus, mangent sur des périodes plus longues et effectuent de nombreuses interactions sociales contribuant à leur équilibre physique et mental. (Heleski et al. (2002)
LE SEVRAGE IDEAL ?
Dans l’idéal, c’est une sorte de sevrage progressif amélioré qui pourrait être réalisé. Pour les élevages comportant plusieurs mères-jeunes et autres adultes. Intégrer un ou plusieurs adultes au tempérament calme, serein, qui joueront un rôle d’apaisement et éducatif, plusieurs semaines avant le sevrage. Au moment choisi du sevrage, commencer à retirer les mères unes à unes. Débuter par les mères dont les poulains sont les plus téméraires et les plus indépendants. Jusqu’à ce que toutes aient été retirées du groupe.
Faire le choix de séparer par une simple barrière les mères et les jeunes le temps du nourrissage est une des solutions. De façon régulière et sur de courtes périodes, avant d’envisager le retrait progressif des mères. Il y aura peu ou pas de stress car les mères et les jeunes peuvent continuer de se voir à travers la barrière et cette séparation sera associée au moment du nourrissage et donc bien mieux vécue. Certains poulains profiteront de cette occasion pour développer un peu plus de contacts avec les autres, sans la présence de leur mère à leurs côtés.
Quelque soient vos obligations, vos impératifs, vos limites, tentez à minima de respecter ceci…
- Ne pas laisser le poulain seul sans congénères de la même espèce
- Ne pas laisser le poulain enfermé au box
- Respecter le budget temps (Manger, se déplacer, se reposer, avoir des contacts sociaux)
- Anticiper la transition alimentaire et donner du fourrage à volonté ou très régulièrement
- Garder un environnement et/ou des partenaires familiers
Bonne continuation à tous les heureux responsables et gardiens de poulains.
Laura, Etho’Lau